Un itinéraire exceptionnel au cœur de la crise politique thaïlandaise. C’est en 2012, à Bangkok, que j’ai fait la connaissance de Aum Neko, alors jeune étudiante transgenre de 18 ans qui se lançait dans l’activisme LGBT.
Sa fougue adolescente et volontiers provocatrice, sur des sujets d’abord légers comme la question du port de l’uniforme à l’université, avait fait parler d’elle sur les réseaux sociaux en Thaïlande. À l’origine de son combat, une question : comment faire ma place dans la société quand celle-ci rejette mon identité ? J’ai alors été le témoin de sa médiatisation rapide.
Tandis que la situation en Thaïlande se crispait progressivement, ses actions prenaient un tour de plus en plus politique. Icône étudiante de la défense de la démocratie, elle est devenue la cible des forces réactionnaires qui cherchaient à renverser le gouvernement élu. Accusée de crime de lèse-majesté, menacée par les mouvements ultra-royalistes, elle est traquée par l’armée quand les généraux prennent le pouvoir, le 22 mai 2014 .
Le film s’est alors poursuivi dans des conditions difficiles mais qui ont contribué à accroître l’intimité avec le personnage. En épousant le destin de Aum jusqu’à sa fuite hors de Thaïlande, ce film en cours devenait pour elle un refuge. Elle a finalement obtenu l’asile politique en France en 2015 où elle travaille et étudie aujourd’hui. Un film à la frontière des genres.
Le film explore les relations complexes entre l’itinéraire exceptionnel de Aum Neko, la crise historique majeure que traverse la Thaïlande depuis plusieurs années, et les représentations mentales de la société thaïe. Il m’a donc semblé important de trouver une forme filmique spécifique, qui fasse dialoguer différents types d’images. Certaines montrent des moments intimes, au plus près de Aum dans son quotidien et dans ses actions politiques. D’autres sont des images plus journalistiques, parfois violentes, qui rendent compte de la chute de la démocratie en Thaïlande. Enfin, des scènes de danse fantasmagoriques, empruntées à l’imagerie des cabarets de « ladyboys » thaïlandais, surgissent comme le coryphée d’une tragédie moderne en train de s’écrire.
La musique est signée Wilfried Paris, avec qui j’avais déjà travaillé comme arrangeur sur l’une de ses chansons. Nous avions une sensibilité commune, y compris le goût de la musique thaïlandaise “molam” des années 60, sur laquelle il avait lui même écrit en tant que journaliste. Ses deux derniers albums questionnent les idées de dualité, d’ambivalence, de porosité entre monde intérieur (imaginaire, rêve) et monde extérieur (société, autrui), et utilisent des formes musicales susceptibles de provoquer des sensations hypnotiques, apaisantes, matricielles. Son dernier album s’intitule d’ailleurs « Matrice ».
La musique des « Rêves Siamois » n’est donc pas une illustration sonore ou un accompagnement, mais joue un rôle essentiel dans la narration et participe à l’écriture du film lui-même.
Motoco
Robin Hunzinger
52' - 2023