Après avoir filmé des voisins européens dont les médias se sont depuis longtemps désintéressés (Sarajeviens, sorti en juin 2014), Damien Fritsch filme une autre voisine, plus proche et plus solitaire encore : la sienne. Quand le film commence, la maison de l’octogénaire a tout d’une ruine à l’intérieur. Des hommes viennent déblayer la pièce où Alice, veuve depuis peu, prend les repas que lui sert une aide-ménagère. Les couches de poussière soulevées virevoltent autour d’elle tandis qu’un nettoyeur extrait d’une pièce un matelas décomposé. Une écoute rare émane de celui que l’on devine de plus en plus acteur de la vie d’Alice plutôt que simple observateur. La rénovation progressive de la maison avec l’aide du voisin/cinéaste s’accompagne de l’émergence d’un récit de vie – des bribes émouvantes, fluctuant au gré des trous de mémoire. « C’est ma vie qui me regarde », une phrase énigmatique prononcée à la fenêtre, s’offre en résumé de l’état singulier du grand âge : comme dévisagée par la vie qu’elle a vécue, Alice semble attendre la mort sans pour autant avoir perdu le goût du sucré ou des « cibiches ». Dans ce film d’intérieur qui rappelle formellement les boutiques des artisanes des « 24 Portraits » d’Alain Cavalier, le travail sur le clair-obscur devient la forme lumineuse de l’attente d’un ultime franchissement de seuil. (Charlotte Garson)
Frères ennemis
Aymeric Jeay
52' - 2023